Prendre un petit déjeuner matutinal dans les rues de Khao San encore endormi…
Traverser le Chao Phraya au levant et se retrouver à la jetée n° 10 au lieu de la n° 11…
Aborder un tucktuck vers 7 h 40 afin de gagner la gare de Thonburi et de sauter dans le train...
Attendre que le train de 7 h 50 s'ébranle à 8 h 20 et arrive tout doucement à Kanchanaburi à 11h 20…
Arpenter le pont mythique de long en large, passer d'une rive à l'autre, vue de dessus, vue de dessous…
Écouter le silence, seul témoin des souffrances des milliers de travailleurs enchaînés aux 415 km de voie ferrée destinée à relier le Siam à la Birmanie en 1942 sous l'occupation japonaise…
Immortaliser le pont déjà immortalisé par le roman de Pierre Boule et le film de David Lean…
Attendre sur le quai le train de 14 h 37 jusqu'à 16 h 13 pour arriver à la nuit à la gare de Thonburi toujours sur la rive droite du fleuve et slalomer jusqu'à la jetée n° 10…
Chercher à rejoindre en bateau la jetée n° 13 sur l'autre rive… En vain, il est déjà trop tard… Déposés au n° 12, toujours sur la rive droite (!), nous regagnerons l'autre rive à pied avec l'aide du pont Phra Pinklao afin de rejoindre Khao San qui s'éveille…
Terre des oublis de Duong Thu Huong
A mesure que la nuit avance, le clair de lune luit davantage sur les couronnes des arbres.
Après la pluie, les feuilles scintillent comme de petits miroirs de cuivre. Elles reflètent la lumière de la lune, l'amplifient à travers des dizaines de milliers de lueurs vertes, éparpillées qui font chavirer l'espace. Miên fixe des yeux le jardin au-delà de l'embrasure de la porte. Les feuilles et la lumière, dans un jeu débridé, font surgir des formes étranges. Une volée de lucioles s'engouffre dans la végétation, l'illumine à chaque coup de vent. C'est son jardin. Jamais encore elle ne l'a regardé avec autant d'attention que cette nuit. Parce qu'elle va le perdre.
Nous avons découvert ce roman de Duong Thu Huong auteure vietnamienne, dans un hôtel à Ayutthaya. Un roman d'amour dans le Vietnam d'après guerre porté par une écriture magnifique... Un petit chef d'œuvre...
Très bon moment de lecture aussi avec L'éternité n'est pas de trop de François Cheng. Encore une histoire d'amour mais dans la Chine du XVIIe siècle...
Au début étaient le Ciel et la Terre...
Au début était le silence...
Le Ciel enveloppait la Terre, la Terre embrassait le Ciel...
Unis, ils tournaient enlacés, animés par le même souffle... Il n'y avait ni jour, ni nuit...
Quand soudain, deux lutins se sont mis à arpenter la Terre...
Ils ont marché, marché, sur les chemins de terre, dans la poussière, le long des rivières... Ils ont grimpé dans les arbres, au sommet des montagnes...
Là-haut, tout là-haut, le Ciel ne les quittait pas des yeux et s'amusait à les voir se cogner aux nuages, danser dans le vent, courir sous la pluie, s'embarquer sur des radeaux et se faire chahuter par les flots...
Longtemps, ils ont navigué sur les mers et les océans, dans les deux hémisphères, loin des terres...
Ils ont fini par échouer sur un petit bout de terre : une île ! Une île déserte, toute verte au milieu des flots...
Une petite île dans la Mer d'Andaman, tout prêt des côtes du royaume de Siam...
Les deux lutins, main dans la main, allaient aux quatre coins de l'île... Ils marchaient, sautaient d'une côte à l'autre sans se poser sous le regard amusé du ciel là-haut, de plus en plus haut...
La Terre elle se sentait de plus en plus seule dans le silence de plus en plus grand...
Allant sans cesse d'une côte à l'autre, les deux lutins, épuisés, près d'une rivière, se sont arrêtés...
L'un d'eux aperçut une pépite d'or, la ramassa et vers le ciel tout là-haut la lança :
- Tiens le Ciel, prends ce cadeau, ainsi tu ne nous oublieras pas...
Un peu plus loin, sur le chemin, l'autre lutin cueillit une pierre d'argent et la lança vers le Ciel :
- Tiens le Ciel, et celle-ci encore, ainsi nous ne t'oublierons pas...
De la pépite d'or, le Ciel fit naître le Soleil et il y eut le jour...
De la pierre d'argent, le Ciel fit briller la Lune et il y eut la nuit...
Ainsi est né le Temps... et deux semaines durant, du levant au couchant, nous sommes passés d'une côte à l'autre, à guetter l'apparition de la lune, le lever et le coucher du soleil...
Cinq semaines à déambuler...
Hanoï, Halong, Hué, Hoï An...
Saïgon, Mékong, Phnom Penh, Battambang...
Angkor, Bangkok, Ayutthaya... Et maintenant ?
Sukhothai ? Chiang Mai ? Phimai ? Khao Yai ? Nong Khai ?
Vientiane ? Luang Prabang ?
Cinq semaines où chaque matin le cap s'imposait : découvrir, sentir, regarder, écouter les scènes de rue des villes, les temples, les ruines... Cinq semaines à se gorger comme une éponge, tels deux enfants assoiffés...
Une semaine de réflexion...
Et là, à Ayutthaya... plus le désir de fouler à nouveau le bitume des villes, assez du tintamarre des motos, assez de se cogner aux pages du Routard à la recherche du "bon resto"...
Est-ce l'appel du lagon de Mayotte, des îles de l'Océan Indien : Rodrigues, Maurice, Les Seychelles... ?
Mais ce matin là, au petit déjeuner à Ayutthaya, nous avons dit STOP !!! Stop aux départs matutinaux à la recherche du wat "à voir absolument", du vieux marché "pittoresque", du palais "incontournable"...
Deux semaines sur une île de la Mer d'Andaman...
"Two tickets to Ranong, please !" Avons-nous murmuré dans la minuscule agence de voyage d'Ayutthaya... Ce jour-là, nous avons décidé de mettre le cap sur les îles du Sud, vers Kho Phayam, l'île souvent évoquée par Marie-Annick et Yvan, les baroudeurs cévenols...
Dix heures de bus de nuit entre Bangkok et Ranong, trois heures au petit jour sur l'embarcadère puis deux heures sur un rafiot avant d'accoster à Kho Phayam ! Ici, rien dans le Routard : pas de musée, pas de palais, pas d'histoire... Trois pistes cimentées, une forêt tropicale et des bungalows cachés parmi les filaos et les anacardiers : ici, il pleut des noix de cajou... (à suivre).