dimanche 24 juillet 2016

Houat (3)

La blancheur odorante du lys de Houat, l'or et la senteur des ajoncs, des genêts et des immortelles safranées, le mauve des oeillets, de l'ail et des oignons sauvages s'épanouissent dans la pureté et la virginité de la nature, ainsi que toute une flore sauvage constituée de chèvrefeuille, chardons bleus, bruyères, églantines, serpolet et rosiers rampants.

vendredi 22 juillet 2016

Houat (2)

Le mythe de l'île

Les îles fascinent les hommes. Depuis Homère, le mythe de l'île s'est surtout enrichi au XVIIIe siècle, lorsque l'archétype insulaire correspondait particulièrement aux aspirations profondes d'une société ocidentale qu'angoissaient les prémices de la modernité et les mutations qu'elle annonçait.
Le "désir d'île" s'exacerbe dans le monde contemporain... L'île répond aux besoins d'innocence,  de retour aux sources, de pureté originelle et de sécurité qui en découlent.

Perdu dans la société contemporaine, l'homme a besoin de retrouver des limites, des repères, un espace continu et clos, mais aussi une collectivité onviviale et solidaire dont l'île constitue l'idéal. Elle incarne le refuge, la retraite hors du temps, l'absence de temporalité...
Catherine Gaston-Mathé
Houat La mémoire de l'île


mercredi 20 juillet 2016

Houat (1)


Une petite île paisible

Située à quelques lieues de la côte méridionale de la Bretagne, à quelques lieues au nord-est de Belle-Île… au sud de Vannes, vis à vis de l'entrée du Morbihan.

L'île de Houat n'a au plus qu'un quart de lieue (1,1 km) de largeur sur une lieue et demi (6,6 km) de longueur : on pourrait la comparer d'après sa forme allongée à un chandelier épais, oblique sur sa base et dont l'extrêmité supérieure se terminerait par trois pointes formant une croix irrégulière.

Jean-Marie Bachelot de la Pylaie
Voyage d'un naturaliste
dans les îles d'Houat et d'Hédic (1825-1826)

Enchantement immédiat

Suite à une semaine à Ouessant, nous poursuivons nos sauts d'île en île. La vie des îles est un enchantement sans cesse renouvelé…

Le charme opère dès l'arrivée au port où nous accueille May de Fougerolles. Pas de voitures ici, si ce n'est quelques véhicules utilitaires pour commerçants, artisans, les services et la vieille jeep de May qui nous conduit jusqu'au Fort.

Nous voici pour une semaine au Fort de la Pointe d'En Tal (photo 1) au nord-est de l'île.





Une île en fleur…

La végétation dunaire, unique, a recommencé de fleurir…

Au couchant, tout autour du fort (où dans les douves nous cueillerons chaque jour de la roquette sauvage), nous découvrons les petits œillets, les touffes d'immortelles, l'asperge et la chicorée sauvage et les touffes plus ou moins vigoureuses de la criste marine sur les rochers ou encore cette plante rare baptisée par les naturalistes : le lys d'Houat…


À l'horizon…

À l'horizon de tes yeux
il y a une immensité bleue
et un océan tout près

Dans ton assiette fleurie
il y a quelques pâtes
de simples penne rigate

Mais des penne rigate
à la façon de ma mémée
d'un bourgueil arrosés

À l'horizon de tes yeux
il y a tous nos rêves
et un chemin sans destinée
longeant le ciel…

D'après Philippe Quinta
Quelques chose qui me dépasse


La nuit

La nuit parle
à tout bout de champ
Ceux qui dorment
sous les étoiles
Le savent bien

Son bavardage est incessant

Et quand bizarrement
Elle se tait

La voici
L'espace d'un rêve
Habitant nos cœurs
Pour se raconter

Philippe Quinta
Quelques chose qui me dépasse
LA PETITE MAISON DE POÉSIE

mardi 19 juillet 2016

Ouessant (3)




Les moutons d'Ouessant


À l'est, aux abords de la baie de Béninou, l'on devine tout près du rivage la coque du Mykonos. Les moutons que chargeait ce caboteur grec se jetèrent à la mer comme il advint aux moutons de Panurge, mais cette fois sans se noyer, bien décidés tous à profiter du restant de leur vie.

Leur supériorité génétique a chamboulé le cheptel indigène et le mouton noir qui s'associait aux images d'Ouessant disparut en trente années presque totalement.

Henri Queffélec
Les îles bretonnes




Vivre à Ouessant

L'île se dépeuple. Les visiteurs sont une foule, mais ils passent. Six, sept cents habitants l'hiver (2953 hab en 1911, 877 hab en 2013). La terre d'un plateau qu'on ne travaille plus s'étiole. Personne cependant n'a le droit ni le devoir de désespérer. Dans un environnement qui marie sans cesse la douceur et la tragédie, Ouessant continue d'enseigner le sang-froid et le bonheur de vivre.

Ibid. 



Qui voit Ouessant
voit son sang ?

Il prend conscience de l'énergie qui le porte. Les séminaires, les congrès et autres rencontres scientifiques et culturelles qui choisissent de plus en plus Ouessant, ne serait-ce que pour une journée, ne dénaturent pas une mission ouessantine. On y étudie mieux les oiseaux, les phares, l'unité cosmique.

Une Biosphère.

Ibid.


Tous les rivages de l'île mériteraient qu'on les longe par le sentier de côte. Aucune des quatre pointes rudes, Perne, Cadoran, Arland, Feunten Velon, qui valent à Ouessant le dessin d'une poche placentaire de seiche, ne doit être omise. Les visiteurs manifestent un sérieux faible pour le secteur qui va de la pointe de Perne au détroit de l'île Keller, et nous n'avons pas le cœur de les reprendre. Servie par la violence personnelle du décor — champs rétifs, grèves hirsutes et sillons de galets peuplés de courlis et de huîtriers, combats de rouleaux glauques et neigeux, fracas de gerbes — la plus belle collection bretonne de rocs nus, lentement et sauvagement sculptés par les agents d'érosion, s'y contemple sous le ciel…
Ibid.
Elle se dresse ou s'étale à même le bord du rivage et jusque dans la mer, en plein sous le matraquage des gigantesques lames, ou elle se tient en haut retrait du flot sur la dune, blocs monstrueux en réserve de massacre.
Natura faber. Les éléments aussi sont des artisans.
Il faut explorer les abords des gouffres que le phare du Créac'h surplombe. Fût-ce par temps calme, des lames de fond y explosent vraiment, sautant avec une souplesse de ballerines (…).

Ouessant n'est pas une station balnéaire touristique. Il reste pour ses habitants le lieu d'une chaude communauté. Ses visiteurs y découvrent, sur les marches océanes de l'Occident, une fascinante approche du monde élémentaire. La culture intellectuelle et le rêve se nourrissent de lui…
Ibid.



dimanche 17 juillet 2016

Ouessant (2)




Qui prend le bateau à Brest pour aller découvrir Ouessant et, peu avant l'escale du Conquet, au débouché de la pointe Saint-Mathieu (photo 1), commence à distinguer des îles, clarifiera l'univers où il entre en séparant désormais dans son vocabulaire deux entités : Ouessant ; l'archipel de Molène.

Ouessant, Eussa, marquera la fin du voyage. Jusque-là, du fouillis des Pierres Noires à Bannec et Balanec, les deux îlots chaotiques du Fromveur, on abandonnera à l'archipel de Molène tout ce qui dépasse au-dessus de la mer le niveau des plus hautes marées.

Artifice ? Entre Ouessant, d'une part, et Bannec et Balanec, de l'autre, la grande profondeur et la rapidité du Fromveur marquent résolument une frontière. Pourquoi Sa Majesté Ouessant s'encombrerait-elle de « cailloux »
épars ?

Men-ten-sel, le récif coriace où est bâti contre Balanec le phare de Kéréon , l'intéresserait, car il aime les phares, et celui-là est proche. Baste ! En matière de phares il a sa suffisance. Quatre tours. Deux sur falaises — Le Créac'h (photo 2) et Le Stiff — deux dans les lames — La Jument, Ividic —. Soit un grand feu de plus que Belle-Ile malgré les dimensions de celle-ci.
Passée l'escale de l'île Molène et tandis que le bateau, slalomant sans violence entre les « basses », coupe le Fromveur pour gagner Le Stiff, considérons mieux cet Ouessant, dans l'étirement de sa côte sud et la stature de ses falaises orientales. Son âpreté rocheuse saute aux yeux. Pas un groupe d'arbres ne distrait les hauts de ce plateau massif et grave, qui s'abaisse à peine vers la pointe sud. Partout, l'on pressent un rivage abrupt, accore. De quelle manière le bateau saura-t-il le convaincre ? Où se cache le port ? Une vraie réponse ne sera donnée qu'à pied de côte, dans l'angle d'un creux, juste sous le phare du Stiff et les installations du « rail d'Ouessant » qui surplombent le site (photo 3).
Inabordable, cette terre ? Le problème ne lâche pas le visiteur alors qu'à pied ou à bicyclette il parcourt Ouessant. De l'autre côté de l'île, sur la façade occidentale, il a découvert une baie enchanteresse, profonde, faite pour l'accueil. C'est par là que le moine Pol, des siècles plus tard les Vikings, sont arrivés du large. Bonheur du peintre ou du véliplanchiste ne signifie pas bonheur du marin. Cette merveille du monde où tant de soirs d'été, tant de nuits elles-mêmes dans le silence des astres et des phares et le murmure ou le bruit de la mer, sont de longs chefs-d'œuvre pour tous le sens et où prolifère, dans une eau toute pure, une grande race de moules, n'offre aucune sécurité au mouillage par vents de secteur ouest.
Les approches de l'aube. La fuite des étoiles. Les crayons de pastel du couchant… Le charme ouessantin, tendresse et chaos, défie l'analyse. Ne cherchons pas au moins dans sa composition l'épouvante, ni le luxe et la volupté promis par Baudelaire sur son là-bas idéal. Le calme est présent à ses heures, ample, magistral. Un ordre et une beauté spécifiques abondent sans cesse…
Henri Queffélec Les îles bretonnes

jeudi 14 juillet 2016

Ouessant (1)



Un œil sur l'océan

Est-ce une île, un continent, un archipel ?

Est-ce une réalité ou un mirage surgi des brumes d'ouest ?

Est-ce sur ses fonds que se brassent les eaux de l'Atlantique et celles de la Manche ?

Est-ce une sentinelle veillant sur l'Europe ou un navire de haute mer ancré au large du Finistère en attente des vents portants pour voguer vers les Amériques ?



Ouessant : un nom terrible et doux à la fois. Un cauchemar et un espoir. Un nom qui unit le soleil couchant et le sang des hommes. Un nom qui marque la géographie comme le Mont Blanc celle de le chaîne des Alpes. Ici aussi, il faut escalader la falaise, haute de trente mètres, pour prendre pied sur les bruyères rases, les ajoncs, les herbes courtes et les murets de pierres sèches qui, par endroits, cloisonnent l'île, abritant des intempéries des petits moutons noirs, vigoureux et timides, qui paissent en toute liberté.
Ouessant, ce sont aussi les phares. Cinq comme les doigts d'une main : celle d'un dieu, protecteur des marins. Cinq phares qui peignent de leurs faisceaux rouges ou blancs les nuits obscures au fond desquelles se camouflent des récifs toujours prêts à mordre le bateau imprudent.

Le plus ancien, le Stiff (photo 3), quarante mètres de haut, est né en 1700 par la volonté de Vauban, sur une petite collines qui lui a, d'ailleurs, donné son nom. Il fonctionnait au charbon et à l'huile et possédait également, époque oblige, une vocation militaire face à l'envahisseur qui ne pouvait être que... l'Anglais ! Aujourd'hui, la portée de son feu atteint les vingt-quatre milles.
Daniel Yonnet
Terres de mer Éditions du Chêne

dimanche 3 juillet 2016

Écrire au jardin


J’ai oublié la première fois. J’ai oublié quand ils m’ont dit, c’est là chez Mémée ! Tu seras bien ! Elle a un jardin. J’ai oublié la première fois quand j’ai poussé la porte en bois du jardin de ma grand-mère.

Je me revois seul devant le portillon. Les planches étroites, les clous rouillés, les gonds fatigués. Il me faut soulever l’ensemble légèrement désarticulé, comme un pantin sans tête, tout en le poussant. Je revois les traces au sol, sur la terre sablonneuse, des quarts de cercle, sillons répétés, un peu comme ceux des jardins zen. J’entre alors dans mon royaume. Dans ce qui sera mon royaume, toutes ces années de la maternelle à mon entrée au collège. Mon royaume en toutes les saisons.

Je me revois planter, replanter au printemps, mes premières salades. Un maigre sillon, un coup de plantoir, un jeune plant fragile, un autre coup de plantoir sur le côté pour l’arrosage, et ainsi de suite… Je me revois me précipiter au jardin, dès le lendemain après la classe, en pleurs, désespéré, à genoux devant mes plantations rachitiques. J’avais imaginé que la 
nuit allait transformé ces trois ou quatre feuilles maigrichonnes en grosses laitues pommelées.

Je me revois l’été, au fond du jardin, accroupi devant les groseilliers, engloutir les grappes charnues à pleine bouche, sous l’œil inquisiteur des poules, seuls témoins de ma gloutonnerie. Je me revois ramasser les pêches blanches tombées de l’arbre du voisin qui me terrorise avec sa grosse voix menaçante. Il me botte les fesses chaque fois qu'il me surprend en train de jouer au cerceau entre les plates-bandes qu'il prend soin de cultiver. C’est un accapareur, me répétait ma grand-mère. Il croit que tout lui appartient !

Je me revois allongé sur le sol, couché et caché par les larges feuilles de choux à l'automne. Je suis là à observer avec attention les gouttes d’eau énorme, délicatement posées à la jointure des tiges charnues d’albâtre et du tronc rugueux. La lumière joue au travers de ces perles de pluie comme dans un kaléidoscope, les couleurs dansent devant mes yeux émerveillés. Il m’arrive de secouer légèrement le
plant de chou et de boire ces gouttes de lumière…

Je me revois, dans l’étroite allée de sable, jouer aux boules avec les énormes pommes de pin, butin rapporté de nos cueillettes en forêt. Ces trésors indispensables en hiver, au démarrage du feu dans le vieux fourneau de faïence, sont entreposés à l’abri des intempéries. Pas de royaume sans palais. Ces provisions de babets comme les appelle Mémée, sont stockées dans un coin de ma cabane. De mon palais.

Je me revois assis en tailleur sur un bout de lino presque neuf. Mon tapis royal dans cet abri de bric et de broc. J’ai assemblé quelques chutes de planches, cloué quelques bouts de tasseau, posé quelques tuiles récupérées à gauche et à droite. Mon palais s’appuie au poulailler/clapier. Là, je peux rester des heures, immobiles, habillé de silence… Je sais qu’ils me cherchent parfois : ils m’appellent depuis la fenêtre dominant le jardin. Je les entends mais ne bouge pas. Je suis le roi. Les lapins ne s’agitent plus, les poules se sont tues jusqu’à l’angélus…

JeanPaul Colomb