dimanche 17 juillet 2016

Ouessant (2)




Qui prend le bateau à Brest pour aller découvrir Ouessant et, peu avant l'escale du Conquet, au débouché de la pointe Saint-Mathieu (photo 1), commence à distinguer des îles, clarifiera l'univers où il entre en séparant désormais dans son vocabulaire deux entités : Ouessant ; l'archipel de Molène.

Ouessant, Eussa, marquera la fin du voyage. Jusque-là, du fouillis des Pierres Noires à Bannec et Balanec, les deux îlots chaotiques du Fromveur, on abandonnera à l'archipel de Molène tout ce qui dépasse au-dessus de la mer le niveau des plus hautes marées.

Artifice ? Entre Ouessant, d'une part, et Bannec et Balanec, de l'autre, la grande profondeur et la rapidité du Fromveur marquent résolument une frontière. Pourquoi Sa Majesté Ouessant s'encombrerait-elle de « cailloux »
épars ?

Men-ten-sel, le récif coriace où est bâti contre Balanec le phare de Kéréon , l'intéresserait, car il aime les phares, et celui-là est proche. Baste ! En matière de phares il a sa suffisance. Quatre tours. Deux sur falaises — Le Créac'h (photo 2) et Le Stiff — deux dans les lames — La Jument, Ividic —. Soit un grand feu de plus que Belle-Ile malgré les dimensions de celle-ci.
Passée l'escale de l'île Molène et tandis que le bateau, slalomant sans violence entre les « basses », coupe le Fromveur pour gagner Le Stiff, considérons mieux cet Ouessant, dans l'étirement de sa côte sud et la stature de ses falaises orientales. Son âpreté rocheuse saute aux yeux. Pas un groupe d'arbres ne distrait les hauts de ce plateau massif et grave, qui s'abaisse à peine vers la pointe sud. Partout, l'on pressent un rivage abrupt, accore. De quelle manière le bateau saura-t-il le convaincre ? Où se cache le port ? Une vraie réponse ne sera donnée qu'à pied de côte, dans l'angle d'un creux, juste sous le phare du Stiff et les installations du « rail d'Ouessant » qui surplombent le site (photo 3).
Inabordable, cette terre ? Le problème ne lâche pas le visiteur alors qu'à pied ou à bicyclette il parcourt Ouessant. De l'autre côté de l'île, sur la façade occidentale, il a découvert une baie enchanteresse, profonde, faite pour l'accueil. C'est par là que le moine Pol, des siècles plus tard les Vikings, sont arrivés du large. Bonheur du peintre ou du véliplanchiste ne signifie pas bonheur du marin. Cette merveille du monde où tant de soirs d'été, tant de nuits elles-mêmes dans le silence des astres et des phares et le murmure ou le bruit de la mer, sont de longs chefs-d'œuvre pour tous le sens et où prolifère, dans une eau toute pure, une grande race de moules, n'offre aucune sécurité au mouillage par vents de secteur ouest.
Les approches de l'aube. La fuite des étoiles. Les crayons de pastel du couchant… Le charme ouessantin, tendresse et chaos, défie l'analyse. Ne cherchons pas au moins dans sa composition l'épouvante, ni le luxe et la volupté promis par Baudelaire sur son là-bas idéal. Le calme est présent à ses heures, ample, magistral. Un ordre et une beauté spécifiques abondent sans cesse…
Henri Queffélec Les îles bretonnes

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire