samedi 18 octobre 2014

Autofiction


Qui suis-je ?

Je suis né au XXe siècle je crois. Disons dans les années cinquante, avec les Trente Glorieuses. Dans le noir, bien au chaud, à l’époque où tout commence à s’accélérer, à se multiplier, à se consommer à tout va. La société dite de consommation met le turbo. On entre dans le monde kleenex ! Ma matière première est millénaire, bien antérieure à l’apparition de l’homo-economicus.

Aujourd’hui, je suis omniprésent, même dans les régions les plus reculées. Vous me connaissez, m’utilisez chaque jour, voire plusieurs fois par jour. Vous me saisissez, me dépliez, me gavez, me ficelez, me jetez mais toujours vers moi revenez ! Parfois, vous me pliez, me gardez, me rangez. Il vous arrive de  m’imprimer, de me peindre, de me colorier, de me collectionner et je me retrouve ainsi au fond d’un tiroir, d’un placard, d’une armoire…

Je suis muet comme une carpe mais si on me gonfle, j’explose ! Certains se méfient de moi comme de la peste, me trouvent dangereux, surtout si les enfants s’approchent de moi pour jouer alors que je me trouve moins dangereux qu’un pistolet. D’autres me méprisent et préfèrent mes cousins moins solides, moins pratiques, moins souples mais plus écologiques !
J’adore être détourné de mon usage premier. Coupé, découpé, décoré, je peux devenir toile de fond d’un décor, surface pour peintres débutants, remplacer une vitre cassée, devenir cape de pluie lors d’une averse ou d’un orage. Devenir cerf-volant est ma transformation préférée. Là, je suis assemblé, scotché, ligoté avec précision et attention sur des morceaux de bambou avant mon envol sous le regard tendre de celui qui me tient en laisse.

Depuis quelque temps, je perds un peu de mes couleurs. Il m’arrive d’être de plus en plus mince voire transparent. Je m’en accommode et m’en amuse, surtout dans les rues, les gares, les aéroports où j’assiste à quelques scènes drôles ou tragiques de la comédie humaine. Je me souviens de ce vieux transistor à bout de pile qui a eu le temps — avant d’expirer au creux de mes entrailles — de me murmurer : grâce à toi, je me sens comme un voilier dans une bouteille, et qui ne vogue nulle part ! J’étais flatté, j’ai failli rougir, exploser de bonheur ; je me suis retenu de peur que l’on fasse évacuer les lieux et que je me retrouve seul et abandonné le ventre presque vide ou plein à ras bord.

Aujourd’hui, mes heures de gloire sont passées. J’ai de moins en moins de succès et on évoque l’interdiction de ma distribution. Fini le temps du déguisement quand le vent me soulève, m’emporte loin et  m’accroche aux épines, aux branches le long des routes. Avec mes semblables, on transforme
buissons et arbustes en arbres de Noël. Jusqu’aux portes du désert. Paraît-il aussi que je deviens un danger pour la faune des océans.

Me reconvertir ? À mon âge ? J’y pense bien sûr. Il m’arrive de me rêver en valise ! Je crains de perdre une partie de ma liberté avec les clefs, les codes, les fixations… Il est vrai que la valise est plus noble, et toujours à la mode. Je vous l’accorde, c’est beau une valise tout en cuir, avec des clés dorées. Une valise très colorée, jaune citron ou rouge cerise avec des roulettes grises ! Ah oui ! Des roulettes m’amuseraient beaucoup…

Alors ? Vous voyez qui je suis maintenant ? Non ?
Allez ! Une piste : bien que de plus en plus biodégradable, ma disparition vient d’être annoncée pour 2016 ! Ah là, vous êtes sur le point de me débusquer !

Oui ! Bravo ! Je suis un sac en plastique ! On m’appelle parfois sachet, poche ! Je deviens souvent un sac-poubelle ! Mes heures sont comptées ! Je vais peut-être devenir objet de collection ! Qui sait ? Bientôt au musée ? Allez savoir…
JeanPaul Colomb
Saintes le 08 octobre 2014

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