Qui suis-je ?
Je suis né au XXe
siècle je crois. Disons dans les années cinquante, avec les Trente Glorieuses.
Dans le noir, bien au chaud, à l’époque où tout commence à s’accélérer, à se multiplier,
à se consommer à tout va. La société dite de consommation met le turbo. On
entre dans le monde kleenex ! Ma matière première est millénaire, bien antérieure à l’apparition de l’homo-economicus.
Aujourd’hui, je
suis omniprésent, même dans les régions les plus reculées. Vous me connaissez,
m’utilisez chaque jour, voire plusieurs fois par jour. Vous me saisissez, me
dépliez, me gavez, me ficelez, me jetez mais toujours vers moi revenez !
Parfois, vous me pliez, me gardez, me rangez. Il vous arrive de m’imprimer, de me peindre, de me
colorier, de me collectionner et je me retrouve ainsi au fond d’un tiroir, d’un
placard, d’une armoire…
Je suis muet
comme une carpe mais si on me gonfle, j’explose ! Certains se méfient de
moi comme de la peste, me trouvent dangereux, surtout si les enfants s’approchent
de moi pour jouer alors que je me trouve moins dangereux qu’un pistolet.
D’autres me méprisent et préfèrent mes cousins moins solides, moins pratiques,
moins souples mais plus écologiques !
J’adore être
détourné de mon usage premier. Coupé, découpé, décoré, je peux devenir toile de
fond d’un décor, surface pour peintres débutants, remplacer une vitre cassée,
devenir cape de pluie lors d’une averse ou d’un orage. Devenir cerf-volant est
ma transformation préférée. Là, je suis assemblé, scotché, ligoté avec
précision et attention sur des morceaux de bambou avant mon envol sous le
regard tendre de celui qui me tient en laisse.
Depuis quelque
temps, je perds un peu de mes couleurs. Il m’arrive d’être de plus en plus
mince voire transparent. Je m’en accommode et m’en amuse, surtout dans les
rues, les gares, les aéroports où j’assiste à quelques scènes drôles ou
tragiques de la comédie humaine. Je me souviens de ce vieux transistor à bout
de pile qui a eu le temps — avant d’expirer au creux de mes entrailles — de me
murmurer : grâce à toi, je me sens comme
un voilier dans une bouteille, et qui ne vogue nulle part ! J’étais
flatté, j’ai failli rougir, exploser de bonheur ; je me suis retenu de
peur que l’on fasse évacuer les lieux et que je me retrouve seul et abandonné
le ventre presque vide ou plein à ras bord.
Aujourd’hui, mes
heures de gloire sont passées. J’ai de moins en moins de succès et on évoque
l’interdiction de ma distribution. Fini le temps du déguisement quand le vent
me soulève, m’emporte loin et m’accroche aux épines, aux branches le long des routes. Avec
mes semblables, on transforme
buissons et arbustes en arbres de Noël. Jusqu’aux
portes du désert. Paraît-il aussi que je deviens un danger pour la faune des
océans.
Me
reconvertir ? À mon âge ? J’y pense bien sûr. Il m’arrive de me rêver
en valise ! Je crains de perdre une partie de ma liberté avec les clefs,
les codes, les fixations… Il est vrai que la valise est plus noble, et toujours
à la mode. Je vous l’accorde, c’est beau une valise tout en cuir, avec des clés
dorées. Une valise très colorée, jaune citron ou rouge cerise avec des
roulettes grises ! Ah oui ! Des roulettes m’amuseraient beaucoup…
Alors ?
Vous voyez qui je suis maintenant ? Non ?
Allez ! Une
piste : bien que de plus en plus biodégradable, ma disparition vient
d’être annoncée pour 2016 ! Ah là, vous êtes sur le point de me débusquer !
Oui ! Bravo ! Je suis un sac
en plastique ! On m’appelle parfois sachet, poche ! Je deviens
souvent un sac-poubelle ! Mes heures sont comptées ! Je vais peut-être devenir objet de collection ! Qui sait ? Bientôt au musée ? Allez savoir…
JeanPaul
Colomb
Saintes
le 08 octobre 2014
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