dimanche 25 octobre 2015

Belle-Isle-en-Mer (2) : vers l'Apothicairerie


De la plage de Donnant à
la grotte de l'Apothicairerie

Côte sauvage toujours… Port de Donnant, Port Skeuf, Porth Puns, Porth Lezonet, Port de Kerlédan, Port de Borderun…

Un peu plus loin vers le nord, l'Apothicairerie. La grotte fameuse est évidemment l'œuvre de la mer. Elle est dorénavant fermée au public, s'étant comportée en fauve lunatique envers ses admirateurs. Un panneau planté sur la falaise à l'entrée du sentier muré donne la liste des victimes et déclare : DANGER. Elle n'est pas close. Les gens désobéissent. Et moi donc.

C'est le soir qu'il faut y descendre en catimini, à l'heure hugolienne des lions assoiffés. La grotte, long tunnel courbe ouvert aux deux extrémités, regarde ainsi vers deux horizons. Le vent tombe, il fait doux, la mer est une pâte mauve rayée d'ébène. Ne nous montrons pas. Les vagues affluent sous la voûte, elles s'ébrouent, s'étirent, elles font leur toilette du soir, se pourlèchent, miaulent, rêvassent.

« J’ai un petit creux, dit l'une, pas vous, les filles ?
— Une dalle monstre ! dit l'autre. Si je tenais l'abruti qui nous a collé ce panneau DANGER sur la falaise ! »
L'Apothicairerie ne se caractérisait pas jadis par une pharmacie clandestine où l'on disséquait les crapauds et les fées, mais par une bicoque rose à la façade indistincte-ment mauresque ou califor-nienne, évoquant assez bien le terminus d'un chemin de fer jamais tracé, imaginé pour relier la côte sauvage à la ville d'Ys… Une auberge du bout du monde tenu par les trois sœurs Maillard.
Ruine lugubre, effritée, délabrée, chapeautée d'un toit branlant, au centre d'une cour pelée qui n'a jamais eu la prétention d'accueillir des massifs de fleurs ni de dis-puter aux bruyères la primeur de l'ouragan, l'Apothicairerie vous serre le cœur.
Aujourd'hui, l'hôtel a disparu, mais il n'a pas dit son secret. Ses habitués non plus. Que venaient-ils chercher en cette auberge épouvantable, au-dessus des grottes interdites et des roches percées qui s'effondrent les soirs de lune ? Le luxe barbare de la bonne franquette. Le philtre des apothicaires. Le charisme diabolique de trois logeuses un peu brindezingues dont l'une faisait les comptes, dont l'autre assurait l'intendance, et dont la doyenne, une poupée grise hors d'âge, triturait un large billet de banque périmé.
Ces trois incarnations membraneuses, ces trois larves d'Halloween qui jetaient l'effroi dans le sommeil des enfants régnaient pourtant sur la meilleure table de Belle-Île…
Yann QUEFFÉLEC
Dictionnaire amoureux de la Bretagne

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