Cette nuit, il pleuvait,
la marée était haute
Cette nuit, il pleuvait,
la marée était haute,
Un brouillard lourd et gris
couvrait toute la
côte,
Les brisants aboyaient
comme des chiens, le
flot
Aux pleurs du ciel profond
joignait son noir
sanglot,
L'infini secouait et mêlait
dans son urne
Les sombres tournoiements
de l'abîme nocturne ;
Les bouches de la nuit
semblaient rugir dans
l'air.
J'entendais le canon d'alarme
sur la mer.
Des marins en détresse
appelaient à leur aide.
Dans l'ombre où la rafale
aux rafales succède,
Sans pilote, sans mât,
sans ancre, sans abri,
Quelque vaisseau perdu
jetait son dernier cri.
Je sortis. Une vieille,
en passant effarée,
Me dit : « Il a péri ;
c'est
un chasse-marée. »
Je courus à la grève
et ne vis qu'un linceul
De brouillard et de nuit,
et l'horreur, et moi
seul ;
Et la vague,
dressant sa tête sur l'abîme,
Comme pour éloigner
un témoin de son crime,
Furieuse,
se mit à hurler après moi.
Qu'es-tu donc, Dieu jaloux,
Dieu d'épreuve et d'effroi,
Dieu des écroulements,
des gouffres, des orages,
Que tu n'es pas content
de tant de grands
naufrages,
Qu'après tant de puissants
et de forts
engloutis,
Il te reste du temps encor
pour les petits,
Que sur les moindres fronts
ton bras laisse sa
marque,
il
te faut cette barque !
Victor HUGO
Les châtiments (1853)
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