Saint Marc
C'est quand même lui le grand personnage de Venise. Son corps est là, au fond de la basilique qui porte son nom. Son lion symbolique ailé, avec livre, est partout présent. « Pax tibi, Marce, Evangelista meus ».
C'est le deuxième des quatre écrivains divins, Matthieu, Marc, Luc, Jean. Il naît probablement à Jérusalem, est converti par Pierre (qui l'appelle « mon fils » à la fin de sa première Épître), fonde l'Église d'Alexandrie, et meurt martyr en 67 en Égypte.
Il semble être le même que Jean-Marc qui, d'après les Actes des Apôtres, accompagne à Chypre et dans l'Asie Mineure, Paul et Barnabé (dont il est le cousin). Après le martyr de Pierre, il prêche sa foi en Aquilée, dont il est le premier évêque.
Aquilée est cette ville d'Italie, sur l'Adriatique, détruite par Attila en 452, et dont les habitants ont fondé Venise. Avant d'aller en Égypte, Marc est donc là. Ce qui autorise la légende comme quoi un ange, alors qu'il passait dans la lagune, lui aurait adressé les paroles fondamentales (« Que la paix soit avec toi, Marc, mon évangéliste »), annonçant par là le lieu de son repos éternel. Son trajet est ainsi Jérusalem-Venise virtuelle-Alexandrie-Venise. Le vol de sa dépouille en Égypte n'est par conséquent que la réalisation de la prédiction divine. Ce transfert a lieu en 828, et il est l'exploit de deux marchands vénitiens, Rustico et Buono, qui ramènent en barque les restes de Marc cachés dans de la viande de porc pour échapper aux contrôles musulmans.
Le corps d'un saint chrétien relié pur porc afin de ne pas être touché ou détruit par des intégristes islamiques, voilà du grand humour catholique. Un détail de la Pala d'Oro ( photo 2, le retable d'Or) montre ces navigateurs avisés.
Venise saisit là l'occasion de substituer Marc à Théodore, ancien patron de la ville (c'est lui qu'on voit sur la colonne de droite de la Piazzetta en regardant San Giorgio — d'où est pris le cliché 3 —, debout, terrassant un dragon crocodile). La Sérénissime s'affranchit ainsi de Byzance et affirme sa suprématie…
Philippe Sollers Dictionnaire amoureux de Venise Marc, saint p. 307 à 311 / Plon 2004